Dans une déclaration préliminaire publiée ce jour, le Centre Carter a félicité les autorités électorales tunisiennes pour la bonne organisation des élections législatives et exprimé également son inquiétude concernant le faible taux de participation et, perceptiblement, un manque de confiance de la population en la capacité de l’assemblée parlementaire à réaliser les objectifs de la révolution de 2011.
Le taux de participation de 41%, plus de 20 points en dessous de celui de 2014, reflète le mécontentement de la population tunisienne face au peu d’accomplissements de l’assemblée sortante. Les partis et candidats indépendants élus dimanche vont maintenant devoir mettre de côté leurs différends et agir rapidement pour consolider les nouvelles institutions démocratiques tunisiennes, améliorer la situation économique et renouveler la foi des citoyens dans le potentiel positif de la transition démocratique du pays.
La mission d’observation du Centre Carter, forte de plus de 90 observateurs, a été menée par Tana de Zulueta, une ancienne parlementaire italienne, et Karen AbuZayd, commissaire au sein de la Commission indépendante d’enquête sur la République arabe syrienne. L’équipe d’observateurs, qui comprenait des citoyens de plus de 30 pays, a visité 392 bureaux de vote et les 27 centres de collecte en Tunisie le jour des élections. Les observateurs n’ont signalé que des irrégularités minimes dans un petit nombre des bureaux de vote visités.
La déclaration du Centre Carter faite ce jour donne une évaluation préliminaire dont les conclusions clés sont exposées ci-dessous. Divers aspects importants du processus électoral ne sont pas encore parachevés, y compris la tabulation, l’annonce des résultats définitifs, et la résolution des plaintes ou recours. CETTE DÉCLARATION NE CONSTITUE DONC PAS L’ÉVALUATION DU PROCESSUS ÉLECTORAL DANS SON ENSEMBLE MAIS DOIT ÊTRE CONSIDÉRÉE PLUTÔT COMME UNE ÉVALUATION PRÉLIMINAIRE PARTIELLE DES PHASES DÉJÀ TERMINÉES. Le Centre fournira des évaluations ultérieures une fois le processus électoral achevé.
Conclusions principales
- Période pré-électorale : les résultats de l’élection présidentielle anticipée ont eu un effet notoire sur les élections législatives du 6 octobre. Les candidats indépendants espéraient capitaliser sur le sentiment anti-establishment qui avait attiré les électeurs au cours du premier tour de l’élection présidentielle, alors que les partis avaient du mal à redynamiser leurs partisans et à encourager la participation. D’un côté comme de l’autre, l’obligation s’est fait sentir de changer de stratégie de campagne à la lumière du rejet par l’électorat du système politique et du passage de deux outsiders politiques au second tour. Kaïs Saïed, un indépendant qui a annoncé qu’il refuserait le financement public et qu’il ne ferait pas campagne pour le deuxième tour, est arrivé en tête, et le magnat des médias Nabil Karoui est arrivé deuxième.
Divers interlocuteurs ont signalé aux observateurs du Centre Carter que la campagne législative avait été éclipsée par le maintien en détention de Nabil Karoui et l’effet que cette détention aurait sur le deuxième tour de l’élection présidentielle. Les médias se sont presque exclusivement concentrés sur ce sujet et sur les recours possibles contre les résultats sur la base du déni d’égalité des chances pour faire campagne, ce qui a compliqué la tâche des candidats aux législatives, au moment de faire passer leurs messages aux électeurs.
Cadre juridique : De même que pour l’élection présidentielle, les dispositions de campagne, y compris celles sur l’utilisation de la publicité et des posters, et sur les plafonds de financement de campagne sont restrictives et difficiles à respecter pour les candidats.
Administration électorale : L’ISIE n’a pas réussi à communiquer efficacement avec le public concernant les questions électorales clés ou à publier les informations pertinentes sur son site web. Après les élections présidentielles, l’ISIE a réalisé une évaluation sur deux jours. Sur la base des informations des Instances Régionales Indépendantes pour les Elections (IRIE), il a été décidé de combler les lacunes en termes de formation du personnel à l’application qui permet d’agréger automatiquement les résultats au niveau des centres de collecte et sur les itinéraires utilisés par les militaires pour collecter et livrer le matériel électoral aux centres. Ceci a amélioré le processus de tabulation.
Enregistrement des candidats : L’enregistrement des candidats pour les élections législatives a été fait par les IRIE entre le 22 et le 29 juillet. Le personnel des IRIE était bien préparé pour ce processus, toutes les parties prenantes ont applaudi leur professionnalisme et leur travail assidu. Un total de 1 506 listes de candidats, soit 1 341 listes en Tunisie et 165 listes à l’étranger, ont été acceptées.
• Environnement de la campagne : Dans le sillage du premier tour des élections présidentielles, la plupart des partis politiques établis ont tardé à lancer leurs campagnes pour les élections législatives, le temps d’évaluer leurs stratégies de campagne, alors que les listes indépendantes entraient rapidement en campagne pour tirer profit de la dynamique anti-système. Les observateurs de longue durée du Centre Carter ont signalé que la plupart des partis ont décidé de conduire des campagnes discrètes, en distribuant des dépliants et en faisant du porte-à-porte.
• Financement de campagne : Bien que les plafonds de financement de la campagne électorale pour les élections législatives aient été relevés depuis 2014, de nombreux acteurs estiment qu’ils sont encore trop bas pour mener une campagne efficace. Les plafonds vont de 11 550 USD à Tozeur à 34 616 USD à Sousse.
• Résolution du contentieux électoral : Dans la majorité des cas, au niveau des circonscriptions, les tribunaux de première instance n’ont pas autorisé les observateurs du Centre Carter à observer pleinement le processus de traitement des recours liés aux élections. En dépit de plusieurs demandes écrites officielles, les observateurs n’ont pas été informés des recours électoraux, n’ont pas été autorisés à assister aux audiences publiques ni à obtenir des copies des jugements.
• Observation des réseaux sociaux : L’observation par le Centre Carter des pages Facebook des partis ou des listes indépendantes, ainsi que de leurs pages de soutien, a révélé que la majorité utilisait les réseaux sociaux comme plateforme pour présenter leurs candidats, annoncer des événements de campagne ou pour appeler les électeurs à voter, plutôt que comme outil pour discuter avec les électeurs de certaines questions. Des campagnes de diffamation et des propos incendiaires ont été observés sur plusieurs pages soutenant des candidats aux élections présidentielles et législatives, bien que les affiliations de ces pages restent incertaines. La majorité des partis observés par le Centre Carter ont violé la période de silence électoral en publiant des publicités sponsorisées sur les pages du parti ou des pages de soutien le samedi et le jour du scrutin.
Contexte
Le Centre Carter opère en Tunisie depuis 2011. Il a observé les élections de l’Assemblée nationale constituante de 2011 et les élections présidentielles et législatives de 2014, ainsi que le processus d’élaboration de la constitution qui a abouti à l’adoption de la constitution en janvier 2014.
Pour ces élections, le Centre Carter a déployé une équipe cadre en mai 2019. À la mi-juillet, le Centre – en collaboration avec l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique – a déployé 16 observateurs de longue durée. L’équipe cadre et les observateurs de longue durée sont issus de 18 pays différents.
Le Centre restera en Tunisie pour observer le processus final de tabulation et le règlement du contentieux électoral. Il observera également le second tour de l’élection présidentielle le 13 octobre. Les objectifs de la mission d’observation du Centre sont de fournir une évaluation impartiale de la qualité globale du processus électoral, de promouvoir un processus inclusif pour tous les Tunisiens et de montrer son soutien à la transition démocratique en Tunisie.
Le Centre Carter évalue le processus électoral tunisien par rapport à la constitution tunisienne, au cadre juridique électoral national et aux obligations découlant des traités internationaux et des normes électorales internationales. La mission d’observation du Centre est menée conformément à la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections.
Le Centre souhaite remercier les responsables tunisiens, les membres des partis politiques, les membres de la société civile, les particuliers ainsi que les représentants de la communauté internationale qui ont généreusement offert leur temps et leur énergie pour faciliter les efforts du Centre pour observer le processus des élections législatives.
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