Le coup d’envoi du premier colloque international du catalogue 2022 des Journées théâtrales de Carthage (JTC) a été donné hier, le 5 décembre 2022, à l’hôtel « Africa ».
La directrice de cette 23e édition, Nissaf Ben Hafsiya, a évoqué dans son discours d’ouverture le souci de la diffusion qui hante les dramaturges arabes et africains, d’où le choix de ce thème qui se veut l’écho de cette préoccupation commune et une tentative de répondre aux questions des dramaturges de la région arabe et africaine. La directrice des JTC a également rappelé que l’organisation de ce colloque s’inscrit dans la continuité avec d’autres ateliers, performances et spectacles et dans le cœur d’une tradition instaurée par cette manifestation, accordant une place de choix aux débats et aux échanges.
Directeur du colloque, le professeur émérite Mohamed Messaoud Idriss, a énuméré dans son intervention les difficultés rencontrées par les dramaturges pour diffuser leurs œuvres, en particulier en dehors des frontières de leur pays. L’universitaire a mis l’accent que l’étroitesse du marché artistique local et également le soutien que l’État fournit, que ce soit au niveau de la production ou au niveau des représentations subventionnées, ont fait que la durée de nombreuses œuvres soit limitée. Il a également souligné que ce colloque vise à chercher de nouveaux horizons pour la production théâtrale et à lancer les assises d’unmarché plus grand et ce en ciblant des pays européens où il y a une forte concentration d’arabes et africains, précisant que ça nécessite une politique culturelle et également des réseaux. C’est ce que ce colloque tente de le faire en proposant des solutions pratiques et en lançant une plateforme numérique pour inciter les dramaturges à inscrire leurs œuvres pour aider à la diffusion.
Répartis sur deux séances, les travaux de cette première journée ont permis de diagnostiquer les problèmes et d’écouter certaines expériences marquantes. La première séance a été ainsi présidée par Dr. Hamdi Al Hamadi, et a été marquée par un exposé assuré par le dramaturge français d’origine africaine (Burkian Faso) HassaenKassiKouyate qui a partagé avec l’assistance des fragments de son expérience, expliquant comment il a réussi à promouvoir sa première œuvre théâtrale en 1997, jouant dans une quarantaine de pays.
Cet artiste de renommée international a dit qu’il a eu de la chance car il a rencontré tout au long de son parcours des femmes et des hommes qui l’ont beaucoup aidé et soutenu et a souligné qu’il n’est pas possible de parler de production ou de distribution sans politique culturelle, et il a estimé que la question n’est pas uniquement liée à l’argent , mais plutôt à la nécessité de fournir un terrain administratif favorable, capable de résoudre les problèmes et de réagir.
Il a également souligné que l’espace francophone dans lequel il diffusait ses œuvres n’est pas francophone au sens politique, en relation avec la colonisation française, mais plutôt comme un espace culturel. L’intervenant a donné comme exemple « La Corée du Sud, par exemple, est aujourd’hui un pays dans l’espace francophone et a été pas une colonie française, alors que l’Algérie ne fait pas partie du groupe francophone, et que chaque pays francophone a ses propres particularités ». Il a également recommandé aux artistes de penser au cachet typique, à la nécessité de rechercher « l’intimité » et « la spécificité » dans la création théâtrale et artistique, et à étudier le marché d’abord. Il a également appelé les créateurs à la nécessité de penser à la décoration, aux nombre d’acteurs et à la scénographie. « Il faut prendre en compte tous ces éléments en considération avant de penser à promouvoir l’œuvre en dehors des frontières, car ces éléments sont liés au coût du spectacle et donc les possibilités de le promouvoir hors des frontières », a-t-il noté.
Lors de la deuxième session qu’a présidé Dr Lasaad Jamoussi, Serge Limbvani, directeur du Festival international de théâtre de Maloba au Congo, a partagé avec l’assistance son expérience, soulignant que les spectacles vivants, y compris le théâtre de poche doivent obéir à certaines conditions et exigences pour pouvoir franchir les frontières. Il a également noté que les Journées théâtrales de Carthage lui ont permis de suivre des spectacles de Palestine, d’Irak et de Jordanie qu’il n’aurait pas pu suivre ailleurs.
Il a souligné que une représentation théâtrale doit avoir un retour financier, une recette, en plus de la valeur artistique, et qu’il est temps de couper avec la culture des représentations gratuites, car le théâtre a besoin de financement pour que la production puisse continuer.
Il a ajouté que le théâtre dans la région africaine souffre d’un problème de financement, car la France est presque le seul bailleur de fonds, et elle finance des œuvres qui correspondent à sa vision et à ses intérêts, et de nombreuses œuvres meurent dès leur naissance et ne sont pas jouées, et d’autres sont jouées en France et ne sont pas montrées dans le pays de production !
Le directeur du Festival de Maloba, festival internationale de théâtre, danse et cirque du Congo, a déclaré que les problèmes de transport et de visa sont parmi les principales difficultés auxquelles sont confrontés les artistes et que des formules participatives doivent être trouvées entre les festivals.
Visa…Visa
Le premier jour du colloque a été marqué par un échange fructueux et des discussions enrichissantes et un échange d’expériences, auquel ont participé un certain nombre de créateurs tels que Rabiaa Ben Abdallah, Ali Al-Alyan, directeur du Festival du libre théâtre en Jordanie, Fattah Diori ( un Marocain résidant en Allemagne), Mazen Gharbawi d’Egypte, Patricia Gomis du Sénégal, Taher Ben Guiza et d’autres.
La majorité des interventions ont mis l’accent sur trois problèmes fondamentaux: le premier est l’absence d’une politique culturelle dans la plupart des pays arabes et africains qui motive les artistes et les aide à promouvoir leur travail au-delà des frontières.
Quant au second, il s’agit aussi de l’absence d’un réseau arabe et africain qui s’engage dans la distribution et la coproduction.
S’agissant du 3e problème, il est lié au visa. les intervenants ont souhaité qu’un mécanisme ou un programme sera lancé pour discuter avec surtout la partie la partie européenne de la nécessité de changer son traitement des dossiers de créateurs, en créant un visa créatif, car il est illogique de priver un créateur d’un voyage pour présenter sa production devant un public arabe, africain et même européen en Europe.