Le mouvement féministe tunisien a engagé dès le départ une réflexion critique sur les politiques publiques et les normes de genre qui engendrent et perpétuent les discriminations et inégalités à l’égard des femmes dans l’accès et l’exercice de leur droit à un travail décent.
Voilà quarante ans que la question des droits économiques et sociaux des femmes a été portée sur la scène publique, le 1er mai 1983 par les féministes e syndicalistes lors de la première manifestation publique de la Commission syndicale Femmes de l’UGTT. Elles se sont mobilisées pour défendre le droit des femmes au travail, pousser à une prise en compte de l’égalité des chances, lutter contre l’exploitation des travailleuses, lever les obstacles qui entravent l’accès des femmes aux responsabilités et développer une vision féministe dans le mouvement syndical
Cette manifestation fait suite à deux autres évènements :
– Un débat public organisé au sein du Club Tahar Haddad pour commémorer le 8 mars, journée internationale des femmes sur le thème « les femmes et l’emploi ».
– Le 8 mars 1982, une manifestation sur « Les revendications des femmes au travail », organisée par les militantes du Syndicat de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique,
C’est dans cette dynamique que s’inscrit le Front pour l’Égalité et les Droits des Femmes (FEDF)en tant que réseau réunissent des organisations de la société civile et des militantes engagées pour les droits des femmes et la lutte contre toutes les formes de menace et discrimination d’ordre économique, social et politique.
Où en sommes-nous quarante ans plus tard ? Dans un contexte de crise économique et d’emploi précaire quel bilan pouvons-nous faire de nos acquis et de nos droits ? Quels pas ont été réalisés sur le chemin de l’égalité et qu’est-ce qui reste à faire ?
Des chiffres qui en disent long :
Rappelons qu’en 1983 les femmes tunisiennes représentaient 21.2% de l’ensemble des travailleurs, aujourd’hui elle représentent 28,9% (INS 2021), mais surtout au cours de cette période, leur taux de chômage a doublé passant de 11,5 à 23.8% (25% pendant le confinement. INS 2021). Parmi les diplômées d’université la situation est encore plus dramatique, puisque plus de 4 sur 10 (40,7%) sont au chômage (contre 17,6% des hommes. INS 2020). Le manque de travail exclue particulièrement les femmes de la vie active, les décourage et les oblige à se rabattre sur les emplois précaires et non protégés, ceux du secteur informel où le salaire féminin ne dépasse pas les ¾ du salaire masculin.
Dans le milieu rural les femmes sont les principales actrices du développement rural, elles constituent 76% de la main d’œuvre agricole (50% moyenne mondiale) mais gagnent souvent la moitié du salaire d’un homme. De plus, elles ont une charge globale de travail quotidienne dépassant de 40% celle des hommes et pouvant aller jusqu’à 16heures par jour. Les inégalités se creusent entre les sexes et la pauvreté se féminise.
Au cours des dernières années, les inégalités de genre se creusent et la pauvreté se féminise. Les femmes en sont plus touchées que les hommes car seulement 20% dispose d’un revenu propre, contre 60% des hommes. Sans compter que dans le secteur agricole, les conditions de travail exposent les femmes à des dangers sur leur santé en raison de l’absence de sécurité face aux maladies générées par les pesticides et les produits chimiques, et en raison aussi des conditions de transport dans ce qu’on a qualifié de « véhicules de la mort » et qui emportent des dizaines de femmes.
Malgré l’engagement de notre pays à établir l’égalité entre les deux sexes dans tous les domaines, conformément à la Constitution et aux conventions et traités internationaux approuvés et ratifiés, ainsi que les programmes et réformes adoptés, la réalité est toujours en deçà des objectifs fixés. Ainsi, le dernier Rapport Mondial sur l’Égalité entre les Sexes classe la Tunisie parmi les derniers pays. Ce rapport évalue 156 pays selon la façon dont les ressources et les opportunités sont réparties entre les femmes et les hommes. Dans le classement global la Tunisie est au 126ème rang mais pour ce qui est de la participation et des opportunités économiques et est au 144ème rang !
A l’occasion de ce 1er mai 2023, que nous souhaitons féministe, nous le Front pour l’Égalité et les Droits des Femmes :
Appelons la société civile à :
– Participer à une réflexion critique interactive et à un plaidoyer qui nous rassemble autour d’une approche féministe des questions qui nous touchent afin de combattre les inégalités et les enjeux de pouvoir et de domination et mieux défendre les droits des femmes
– Engager des actions de plaidoyer pour intégrer une approche basée sur l’égalité de genre dans les politiques publiques afin de défendre le droit des femmes à un travail décent
– Lutter contre toutes les formes de discrimination, d’exclusion et d’inégalité, qui privent les femmes de leurs droits économiques et sociaux
– Adopter une égalité effective dans les pratiques et la culture organisationnelle au sein des associations, des espaces de travail y compris dans les institutions d’économie sociale et solidaire
Demandons aux pouvoir publics et aux institutions étatiques de :
– Mettre en conformité la législation nationale concernant les droits sociaux et économiques avec les conventions et instruments internationaux
– Ratifier la convention n°190 (2019-BIT) relative à la lutte contre la violence et le harcèlement sur le lieu de travail
– Appliquer la loi 58-2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes
– Adopter les textes d’application de la loi 30-2000 relative à l’économie sociale et solidaire et la loi 37-2021 relative à la réglementation du travail domestique
– Appliquer le protocole d’accord pour le transport des ouvrières et ouvriers agricoles
– Intégrer le genre dans le budget des différentes institutions et structures de l’État
– Adopter des politiques publiques fortes qui transforment de manière effective la réalité sociale et économique des femmes
– Revoir le système de protection sociale pour assurer une égalité des chances entre les femmes et les hommes
Les signataires :
– L’Association Tunisienne des Femmes Démocrates
– L’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement
– La Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme
– Aswat Nisaa
– Association Beity
– La Coalition Tunisienne contre la peine de mort
– L’organisation Tunisienne contre la Torture
– Free Sight
– L’association Victoire pour la femme rurale
– L’association Ladie’s Firts
– L’association Tigar
– L’association femmes pour la citoyenneté et développement
– Le syndicat National des journalistes Tunisiens
– L’association volontaires
– L’association Elkarama
– Groupe Tawhida BenChikh
– L’association OmZine
– L’association Femme et citoyenneté
– Dorra Mahfoudh Universitaire et militante féministe
– Najet Araari Chercheure et militante féministe
– Alya Chammari Avocate et militante féministe