Le Centre Carter a publié aujourd’hui une déclaration préliminaire sur l’élection présidentielle tunisienne du 15 septembre, qui a fourni à la Tunisie l’occasion de revigorer la transition politique du pays, de renforcer sa culture démocratique et de se refocaliser
sur les réformes qui amélioreront la vie de ses citoyens.
Malgré les efforts déployés par l’instance indépendante de gestion des élections du pays, connue sous son acronyme l’ISIE, pour faciliter une plus grande participation des électeurs, le taux de participation aurait été de 45,02%, une baisse décevante qui reflète la désillusion des
Tunisiens face à la situation politique et à la trajectoire économique du pays. Néanmoins, les citoyens devraient être fiers du fait que l’élection ait offert un large éventail de candidats et que l’ISIE ait mis en œuvre le scrutin avec succès, malgré un calendrier condensé de 90 jours rendu
nécessaire par le décès du Président Béji Caïd Essebsi en juillet.
La mission d’observation du Centre Carter, qui comptait plus de 90 personnes, était dirigée par Salam Fayyad, ancien Premier Ministre de l’Autorité palestinienne, et Tana de Zulueta, une ancienne parlementaire italienne. L’équipe d’observateurs, composée de citoyens de plus de 30
pays, a visité le jour du scrutin, 317 bureaux de vote et les 27 centres de compilation en Tunisie. Les observateurs n’ont signalé que des irrégularités mineures dans un nombre limité de bureaux de vote visités. La plupart des problèmes étaient liés à l’insuffisance des instructions
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données aux électeurs sur la manière de voter.
La déclaration d’aujourd’hui du Centre Carter fournit une évaluation préliminaire, dont les principales conclusions sont décrites ci-dessous. Plusieurs aspects clés du processus électoral doivent encore être achevés, notamment la compilation, l’annonce des résultats finaux et la résolution
des plaintes ou des contestations, éventuelles. Le Centre fournira des évaluations supplémentaires, une fois le processus électoral terminé.
Période préélectorale
En juin, le Parlement a adopté des amendements à la loi électorale qui auraient limité le droit fondamental des citoyens de se présenter aux élections – notamment en interdisant effectivement aux propriétaires de médias et aux dirigeants des organisations caritatives de se porter
candidats. Le président Essebsi a refusé de promulguer la loi.
Sa mort soudaine a radicalement modifié la course à la présidence, raccourcissant considérablement le calendrier électoral et faisant pression sur toutes les parties prenantes, pour qu’elles respectent les nouvelles échéances. En effet, la Constitution tunisienne exige la nomination d’un
nouveau Président dans les 90 jours suivant l’installation du Président par intérim. Bien que le Parlement ait adopté des amendements à la loi électorale visant à raccourcir le processus de plaintes et de recours, le nouveau calendrier ne garantit toujours pas que la Tunisie puisse
respecter les délais constitutionnels en cas d’organisation d’un second tour.
Fin août, les autorités ont arrêté le candidat Nabil Karoui, qui dominait des sondages d’opinion à la mi-juillet et qui était présumé être la cible des amendements parlementaires avortés, pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. Sa détention actuelle laisse penser qu’il a été arrêté pour
des raisons politiques et jette une ombre sur le processus. De plus, on ignore comment sa détention influera sur sa participation au reste du processus électoral.
Les principales conclusions :
Cadre juridique : certains domaines du cadre juridique pourraient être améliorés, notamment en fixant des délais définitifs et adéquats pour les différentes étapes du processus électoral. Les dispositions relatives à la campagne électorale, y compris celles inhérentes à l’utilisation de publicité et d’affiches, sont restrictives et difficiles à respecter pleinement par les candidats, ce qui encourage leur violation.
Administration des élections : Bien que les postes vacants dans les effectifs du personnel, en particulier dans les départements juridiques et de la formation, posent des problèmes, l’ISIE a efficacement conduit les élections dans des délais très serrés. Cependant, elle n’a pas réussi à gérer ses communications publiques de manière cohérente. Ainsi, les membres de son Conseil ont parfois fait des déclarations contradictoires.
Enregistrement des candidatures : le personnel de l’ISIE a mis en œuvre les procédures d’enregistrement de manière professionnelle et dans les délais. Quatre-vingt-dix-sept candidats ont postulé ; 26 ont été approuvés et 71 rejetés, certains pour avoir utilisé des parrainages frauduleux. L’ISIE n’a pas fait preuve d’une totale transparence, en s’abstenant de publier des détails sur les raisons pour lesquelles elle a rejeté des candidats. Elle a publié la liste finale des candidats le 31 août, deux jours avant le début de la campagne électorale.
Education des électeurs : l’ISIE a lancé une campagne d’éducation des électeurs, spécifiquement axée sur les élections présidentielles, deux semaines avant le scrutin. Les organisations de la société civile ont signalé qu’elles manquaient de fonds pour mener une campagne complète d’éducation des électeurs, avant le jour du scrutin. Les organisations de la société civile ont, en général, reçu moins de fonds pour des activités liées aux élections, telles que l’éducation des électeurs et l’observation des élections. Le fait qu’il s’agisse d’élections présidentielles anticipées a affecté leur capacité à obtenir des fonds supplémentaires.
Environnement de campagne : les observateurs à long terme du Centre Carter ont signalé qu’une atmosphère positive régnait entre les principaux partis politiques dans les différentes régions du pays, même lorsqu’ils organisaient des événements de campagne le même jour dans la même région. Aucun incident de sécurité majeur n’a été signalé. Dans le cadre d’un nouveau développement pour le pays et la région, les candidats ont participé à des débats télévisés en direct, qui ont été visionnés par près de la moitié des électeurs enregistrés du pays et télédiffusé dans toute la région arabe.
La campagne a commencé lentement mais s’est intensifiée au cours de la deuxième semaine, les candidats ayant organisé des rassemblements, utilisé des tentes et des panneaux publicitaires, distribué des tracts et fait du porte-à-porte. Les candidats ont également largement utilisé les réseaux de médias sociaux (principalement Facebook), en particulier pour les publicités de campagne.
Financement de la campagne : le financement public est réparti équitablement entre les candidats en fonction du nombre d’électeurs au niveau national. Bien que le plafond des dépenses de campagne ait été relevé après les élections de 2014, les parties prenantes le jugeaient encore trop bas, ce qui encourageait les candidats à dépasser ce plafond et à ne pas déclarer complètement leurs dépenses.
Résolution des litiges électoraux : malgré les délais raccourcis prévus à l’article 49 de la loi électorale, le tribunal administratif a été en mesure de traiter toutes les plaintes et tous les recours préélectoraux dans les meilleurs délais. Cependant, tant le pouvoir judiciaire que les plaideurs ont déclaré que les contraintes de temps menaçaient le droit de demander réparation et le contrôle juridictionnel. Le tribunal a fait preuve d’impartialité et de respect d’une procédure régulière, mais n’a pas divulgué publiquement les détails des plaintes et des décisions.
Surveillance des médias sociaux : à ce jour, il n’existe pas de cadre juridique spécifique pour les médias en ligne. Les deux tiers des Tunisiens sont des utilisateurs actifs des médias sociaux et Facebook est largement utilisé. La plupart des candidats ont utilisé Facebook pour la publicité payée ciblée. Certains candidats ont publié jusqu’à une douzaine d’annonces par jour, à partir de leurs pages vérifiées. À la veille des élections, le Centre Carter a observé des publicités payantes soutenant un certain nombre de candidatures, diffusées sur leurs pages Facebook vérifiées, ainsi que sur des pages aux affiliations floues, en violation de la période de silence de la campagne.
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Contexte:
Le Centre Carter a été accrédité par l’ISIE pour observer les élections et a déployé plus de 90 observateurs qui ont visité 317 bureaux de vote ainsi que les 27 centres de compilation.
Il est présent en Tunisie depuis 2011. Il a assisté aux élections de l’Assemblée nationale constituante de 2011, aux élections présidentielles et législatives de 2014, ainsi qu’au processus d’élaboration de la Constitution qui a abouti à l’adoption de la Constitution en janvier 2014.
Pour ces élections, le Centre Carter a déployé une mission principale en mai 2019. À la mi-juillet, le Centre – en collaboration avec l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique – a déployé 16 observateurs à long terme. L’équipe principale et les observateurs à long terme
représentent 18 pays différents.
Le Centre restera en Tunisie pour observer le processus de compilation finale et la résolution des plaintes électorales. Une mission d’observation sera envoyée à l’occasion des élections législatives et, si nécessaire, d’un deuxième tour de scrutin en octobre. L’objectif de la mission
d’observation du Centre est de fournir une évaluation impartiale de la qualité générale du processus électoral, de promouvoir un processus inclusif pour tous les Tunisiens et de démontrer son soutien à sa transition démocratique.
Le Centre Carter évalue le processus électoral tunisien par rapport à la Constitution tunisienne, au cadre juridique électoral national et aux obligations découlant des traités internationaux et des normes électorales internationales. La mission d’observation du Centre est menée
conformément à la Déclaration de principes pour l’observation d’élections internationales.
Le Centre souhaite remercier les responsables tunisiens, les membres des partis politiques, les membres de la société civile, les particuliers et les représentants de la communauté internationale qui ont généreusement offert leur temps et leur énergie pour faciliter les efforts du Centre
visant à observer le processus des élections présidentielles.