À l’occasion de la Journée mondiale du droit à l’avortement (28 septembre), le Groupe Tawhida Ben Cheikh (GTBC) rappelle que, si la Tunisie a été pionnière en légalisant l’avortement depuis 1973, l’accès réel à ce droit reste inégal pour de nombreuses femmes.
Un droit pionnier, mais une application inégale
Depuis plus de 50 ans, la loi tunisienne permet l’avortement sans restriction de raison jusqu’à 12 semaines. Cette loi visionnaire a consacré le principe fondamental de l’autonomie corporelle des femmes. Mais, sur le terrain, les études que nous avons menées montrent que beaucoup de femmes se heurtent encore à la stigmatisation, à l’incompréhension de la loi, à l’objection de conscience abusive de certain.e.s professionnel.le.s de santé, et à de fortes inégalités d’accès selon l’âge, le statut, les régions ou la situation économique des femmes.
Les obstacles majeurs aujourd’hui :
Stigmatisation et tabous : L’avortement reste un tabou, ce qui culpabilise les femmes et donne la possibilité à certain.e.s soignant.e.s de nier l’accès de ces femmes à un service public.
Manque d’information : Beaucoup de jeunes, hommes et femmes, ignorent leurs droits, faute d’information et d’éducation adaptée.
Objection de conscience invoquée de façon abusive : Des professionnel.le.s de la santé refusent au sein de structures publiques de pratiquer l’avortement sans orienter les femmes, réduisant ainsi l’accès, surtout dans les régions de l’intérieur.
Inégalités d’accès : les différences significatives entre les zones rurales et urbaines, pour les jeunes et les femmes vivant dans des situations de vulnérabilité (y compris en situation de précarité économique, en situation d’handicap, survivantes des violences, vivant avec le VIH, migrantes, etc.) qui sont les premières victimes du manque d’information, de structures et de moyens par conséquent exposées aux maltraitances et au déni d’accès aux services.
Lacunes juridiques : Certaines procédures restent floues, compliquant l’accès à l’avortement, souvent urgent, pour les femmes non mariées ou mineures.
Une feuille de route urgente pour garantir l’équité d’accès à l’avortement :
Sur la base de ce constat, Le Groupe Tawhida Ben Cheikh appelle les autorités tunisiennes et la société civile à une mobilisation concertée autour de plusieurs recommandations prioritaires :
Réformer la loi pour reconnaitre l’avortement médicamenteux et l’étendre à toutes les structures de santé, et adapter les délais pour certaines situations concernant les femmes en situation de vulnérabilité.
Garantir des services accessibles : a) Encadrer strictement l’objection de conscience et exiger de l’objecteur/trice qu’il/elle oriente et réfère la femme aux services adéquats, b) former le personnel à l’accueil bienveillant et au respect des droits des personnes, c) assurer la gratuité de la procédure et d) clarifier et simplifier la procédure pour les mineures.
Briser les tabous : Lancer des campagnes nationales d’information et réintroduire l’éducation complète à la sexualité adaptée aux tranches d’âge au sein des établissements éducatifs.
Soutenir la recherche : Produire des données fiables d’utilisation des services d’avortement et garantir l’accès aux données officielles pour formuler des politiques publiques efficaces ; tout en soutenant les associations de terrain, actrices clés de l’accompagnement des femmes, pour générer des données locales.
Dissocier le droit à l’avortement et à la contraception des préoccupations démographiques en lien avec la baisse du taux de fécondité (et de la natalité), qui est une tendance universelle, attendue et irréversible.
Restaurer la collaboration institutionnelle entre les institutions gouvernementales (Office de la Famille et de la Population et la DSSB) et la société civile pour une offre de service cohérente et complémentaire.
Mettre en place des mécanismes de contrôle : Pour documenter et dénoncer les violations du droit à l’avortement, les refus injustifiés et les entraves administratives, notamment, le recours illégal au consentement du conjoint, et le refus d’accès à l’avortement pour les femmes majeures âgées de 18 à 20 ans.
La Tunisie dispose de lois et de ressources pour garantir ce droit. Il est temps de faire en sorte que chaque femme, où qu’elle vive et quelle que soit sa situation, ait accès à l’avortement en toute sécurité et dignité.
Le GTBC reste mobilisé face à toutes les atteintes aux droits sexuels et reproductifs, en Tunisie et dans les contextes de crise humanitaire, telles que vécues par les femmes de Gaza, et exprime sa solidarité avec toutes les femmes privées de leurs droits fondamentaux.
À propos du GTBC :
Le Groupe Tawhida Ben Cheikh œuvre pour la santé et les droits des femmes, en particulier pour garantir l’accès à l’avortement sécurisé en Tunisie.