Avec un sourire jovial et une voix pleine d’enthousiasme et d’énergie malgré une journée chargée entre formation et animation de cercle de discussion dans le cadre de sa participation comme curatrice de la section Art Vidéo « El Kazma » pour la 6ème édition du festival Gabès Cinéma Fen, Ana Vaz, cinéaste et artiste brésilienne, parle de sa relation « énigmatique » avec le septième art « Mes parents sont rencontrés lors d’un production d’un film , avant même la naissance il y avait le cinéma »
Baignée dans toutes les formes d’expression artistique, Ana Vaz évoque ses parents qui par leurs parcours atypiques ont forgé sa personnalité et sa vision personnelle du cinéma « il y avait la musique de mon père : mon père un grand musicien artiste qui vécu une grande partie de sa vie dans la forêt amazonienne avec des communautés autochtones avec lequel il a produit composé re-imaginé des formes d’expression par le son ; et il y a avait ma mère anthropologue et sociologue dont le travail est en relation avec le cinéma et le théâtre . »
Le cinéma n’est pas une direction ou décision que j’ai prise mais c’est le cinéma en tant qu’« entité » qui m’a toujours emmené vers lui tout au long de ma vie, souligne l’artiste regard vers l’horizon attablée dans l’esplanade du café Casino Corniche de Gabès en expliquant que sa naissance dans la ville de Brasilia, une ville construite sur la mythologie de l’effacement, a façonné sa manière de concevoir le cinéma comme médium.
« Je suis née dans une ville marquée par la forme la plus radicale de la modernité, une ville construite à partir du principe : il n’y avait rien ici avant. » et d’ajouter « Le fait qu’une ville est construite sur ce principe en 1957 montre que quelque part que le pays a décidé de se coloniser soi même et de construire une capitale qui n’a pas de passé , une capitale construite selon une radicalité architecturale sociale et urbanistique selon une philosophie moderne qui s’appuie sur la séparation du corps et la pensée , la nature et la culture , Moi et l’Autre. »
Ce marquage, cet effacement imposé a façonné la relation entre la réalisatrice et l’image cinématographique. Le cinéma d’Ana Vaz est « un cinéma crée à partir des expériences des émotions beaucoup plus qu’un cinéma qui s’appuie sur des vérités et des représentations ou des connaissances codifiés. »
« Moi je veux parler de cinéma de tremblement d’hallucination de désespoir historique », c’est ainsi que la réalisatrice brésilienne définit son travail en invitant à aller au-delà de la fonction « cognitive » de l’image qui ne produit plus, selon elle, de connaissance critique mais devient complice du système de destruction imposé par chaque régime d’occupation.
Pour la cinéaste, l’image n’est pas là pour dénoncer mais elle a une réalité matérielle spécifique, évoquant, à ce propos, ces derniers films où elle travaille sur la pellicule périmée du 20 ème siècle censé être jeté.
L’utilisation d’images pourries raconte une histoire et entraine la réalisatrice dans un cinéma où elle se laisse guider par la matière. L’image devient un portail et non une « preuve » et provoque auprès du public des sensations de la physicalité qu’émerge de ce qu’on voit …des images qui parlent et ravivent l’intelligence et la sensibilité du corps et non seulement de l’esprit.
Parlant de son expérience comme curatrice dans la section Art-video « El Kazma » dans le cadre de la 6ème édition du festival Gabès Cinéma Fen, Ana Vaz souligne avec beaucoup d’enthousiasme une expérience unique liée à la spécificité d’un festival né en relation organique et sensible avec le lieu et ses préoccupations écologiques et sociales « je n’ai jamais été dans un festival où on m’emmène voir un activiste écologiste pour me parler de pollution industrielle dont souffre sa ville »
Les festivals de cinéma ailleurs sont devenus des industries avec des programmations de plus en plus pauvres de toute réflexion ou engagement politique, constate Vaz avec amertume en témoignant « je viens ici et dans deux jours de festival j’ai ressenti vu rencontré entendu …je suis traversée par des choses qui me semble fondamentales pour le futur d’une certaine humanité »
Pour la réalisatrice, faire bouger les lignes passe par le fait que film projeté ou performance artistique interprétée devient un manifeste politique, une mise en forme d’un mouvement politique une répétition pour un monde désiré et c’est là qu’il y a une transformation grâce à des résonances transnationale qui émanent des pays du sud.
Ces résonances , ces connexions, ces moments de partage d’échange d’émotion d’inquiétude ou de déception avec l’Autre au-delà d’une manifestation artistique ou d’une simple projection d’un film suivi d’un simple débat, cette communion transnationale c’est une réponse, un antidote aux régimes meurtriers des pays du nord.